Voix, diseuses de bonne aventure, politique et persuasion

On dirait un titre de film dans lequel on aurait Mitterrand et Elizabeth Teissier qui vivent une romance sur fond de divination occulte. Je reconnais d’ailleurs l’aspect putaclic de cette introduction. Mais il m’est arrivé récemment une histoire assez extraordinaire, qui d’ailleurs n’est pas très flatteuse pour moi.

Dans l’imaginaire collectif, la Gitane est une figure singulière nimbée de mystère et de clair-obscur, qui dit la bonne aventure, farouchement indépendante, un peu canaille voire carrément délinquante, et qui a beaucoup inspiré les artistes. On pense notamment à Carmen de Georges Bizet, l’opéra le plus joué au monde, qui se passe en Espagne, avec une Gitane comme personnage principal qui rend fou de désir un pauvre brigadier. On y trouve entre autres le trio des cartes où trois jeunes filles dont Carmen s’amusent à dire la bonne aventure. On retrouve cette mystique aussi dans la Traviata de Verdi avec le fameux Choeurs des Bohémiennes. Bref, la charge mystérieuse liée à cet univers est forte.

Aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Venons en au fait. Lors des dernières vacances, ma femme et moi-même avons décidé d’aller aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Nous apprécions beaucoup cette destination méditerranéenne qui nous renvoie à nos premiers séjours en amoureux. Et qui dit Saintes dit forcément gitans et diseuses de bonne aventure. En effet, cette charmante ville, coeur battant de la Camargue, abrite tous les ans une célébration en l’honneur de la sainte patronne des gens du voyage, Sara la Noire.

Ma femme et moi-même étions tenté de nous faire lire les lignes de nos mains. Mais nous étions réticents. Était-ce par superstition ou par peur de découvrir ce qui pouvait nous arriver à l’avenir, aucune idée. Toujours est-il que sur un coup de tête, nous nous décidons finalement à sauter le pas.

Ce qui aurait dû être une expérience de couple assez drôle s’est surtout révélé comme un moyen d’alléger financièrement notre portefeuille. Et ce bien évidemment, pour des informations qui avaient plus trait à ce qu’on voulait bien entendre. 

On le savait… et on s’est fait bananer quand même.

J’avoue que l’état de passivité dans lequel j’étais m’a fait assez peur a posteriori.

On savait que c’était une arnaque…. et on s’est fait arnaquer, même pas à l’insu de notre plein gré !

Deux semaines sont passées et j’ai maintenant le recul nécessaire pour savoir pourquoi je me suis fait berner comme ça. Et tout est dans…

La voix et les inflexions de la gitane !!!

Je me base juste sur une seule diseuse de bonne aventure. Donc pour avoir une cohorte sur laquelle me baser pour plus de recherches, il faudrait que j’en vois plus. Sauf que:

  1. Elle m’a interdit d’en voir une autre d’ici un an jour pour jour (sinon elle me jette un sort)
  2. j’ai beau bien gagner ma vie, une seule expérience où je me fais arnaquer ça suffit

Revenons donc à nos Gitanes. La fréquence fondamentale de la voix était assez grave puisque la diseuse de bonne aventure est une fumeuse. Elle a donc un oedème de Reincke qui confère à sa voix un aspect rauque et… mystérieux. Premier élément de charme donc.

Deuxième point, la prosodie. Le débit de parole était fluide et assuré, sans interruption aucune et avec systématiquement un dessin mélodie de la phrase vers le bas. C’est-à dire la plupart des marqueurs d’assertivité que j’analyse et que je recommande à mes clients. A quelques exceptions près, quand elle me demandait si ce qu’elle disait était vrai, où le dessin de la phrase montait légèrement dans les aigus. 

Troisième point, la pause et la respiration. Qui dit parler avec un débit fluide dit aussi respiration. Les respirations de la diseuse de bonne aventure étaient plutôt courtes mais me laissaient le temps d’entendre et d’acquiescer à ce qui était dit…

Dernier point : la sémantique. Avec du “tu” et un discours qui n’était tourné que vers moi et non vers ce qu’elle-même ressentait. Avec aussi un aspect prophétique et auto-réalisateur dans les mots, y compris dans les choses les plus banales : “tu vas maintenant aller me chercher telle ou telle chose”.

Tous les éléments sont donc réunis pour donner au discours type “effet barnum” de notre diseuse de bonne aventure un aspect indiscutable qui demande une certaine volonté pour y résister. Elle a donc été très bien coachée 🙂

Pourquoi la politique alors ?

Parce qu’on retrouve à l’occasion ce type de marqueurs d’activités assez souvent chez le personnel politique ou militant marquant. Je ne vais aller ni chez les télé-évangélistes, ni chez les dictateurs populistes, mais juste à côté.

En effet, on remarque ces marqueurs d’assertivité prophétique dans la voix chez Donald Trump dans son discours de victoire pour les élections de 2024 et chez Martin Luther King dans son discours I have a dream.

Ecoutez bien les deux discours. On a un débit de parole très fluide, sans interruption et une maîtrise totale de la respiration. On a une voix reconnaissable dans les deux cas, un dessin mélodique légèrement vers le bas en fin de souffle. Et surtout une sémantique qui parle de communauté et d’autrui plutôt que d’individus. 

Et que ce soit une diseuse de bonne aventure, Donald Trump, Steve Jobs, encore Martin Luther King ou encore un startupper qui veut vendre une idée révolutionnaire, les marqueurs vocaux sont très analogues.

On a beau le savoir, on marche quand-même. La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont reproductibles et terriblement efficaces. Et avec un bon accompagnement, on peut non seulement déjouer ces mécanismes de persuasion, mais aussi les utiliser à nos propres fins.

Finalement, peut-être que Donald Trump s’est fait arnaquer par une Gitane. Mais si c’est le cas ça lui sert décidément très bien :).

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A propos

  • Portrait Emilien Hamel

    Emilien Hamel

    Formateur en prise de parole et coach vocal, Expert Voix, Grenoble et visio