A chaque époque ses révolutions industrielles. Le XXIème en aura connu plusieurs, liées à l’explosion des télécommunications, des processeurs de calcul via les semi-conducteurs, et la démocratisation d’internet avec l’émergence de nouveaux géants industriels tels que Google, Apple, Facebook ou Amazon.
L’Intelligence Artificielle va bouleverser nos sociétés à un point que l’on imagine à peine. D’après cet article de l’IMF, 40 % des emplois vont être impactés directement par l’IA dans les pays développés, le gain de productivité est déjà notable. Des secteurs entiers risquent d’ailleurs de disparaître. On pense notamment à Téléperformance en février 2024 qui a vu le cours de son action chuter de 28 %, puis 14 % suite à l’annonce du groupe Klarna, une fintech suédoise qui propose une relation client gérée entièrement par l’IA, de rentrer en bourse. On commence à voir de gros changements. Et il y a déjà une fracture qui s’opère entre les personnes qui sauront utiliser l’IA et celles qui ne le pourront pas.
Les spécialistes en prise de parole en public vont devoir s’adapter d’une manière ou d’une autre à cette nouvelle donne. Pareil pour les experts voix et coachs vocaux qui pourraient voir leur métier soit disparaître, soit être grandement facilités par l’IA.

Ce que change l’IA niveau gain de temps ou compétitivité pour les formateurs en prise de parole en public
Je ne vais pas vous mentir, j’utilise moi-même ChatGPT pour m’aider dans la rédaction de certains articles de blog, ou pour faire des présentations en entreprise et en écoles de commerce. Le gain de temps est considérable pour moi, qui doit adopter une vision à 360° pour développer mon activité (animation des sessions individuelles et collectives, préparation des supports, diagnostics vocaux, développement de l’offre, présence sur les réseaux sociaux, dans la mesure du possible, etc).
C’est notamment la qualité des prompts qui me permet de faire déjà un contenu qui tient la route pour évoquer les notions de gestion du stress, du trac, de diction, de projection de la voix, du triangle logos/éthos/pathos, de la structuration d’un discours et de la manière de l’incarner.
Et ensuite pour faire des présentations qui illustrent mon propos.
Mais alors, un problème va se poser : puisque l’intelligence artificielle a accès à toutes les ressources possibles et imaginables, notamment de l’ingénierie pédagogique disponible dans le web quel que soit le domaine, prise de parole en public et voix incluses, et que n’importe qui avec un peu de logique est capable de nourrir ChatGPT avec un prompt qui donnera des résultats, quelle est la valeur ajoutée d’un expert voix ou d’un formateur en prise de parole en public comparé à ce nouveau venu astucieux?
L’IA peut-elle se substituer à une expérience humaine lorsqu’on souhaite s’améliorer dans le domaine de la prise de parole en public ?
Dans l’article de l’IMF cité un peu plus haut, la question du nivellement des compétences est déjà sur la table. Quelqu’un qui sait se servir de l’IA (à défaut de savoir la programmer) aura un avantage concurrentiel sur ceux qui ont des difficultés à la comprendre.
Imaginons que nous avons deux experts en prise de parole en public qui peuvent être interchangeables : un qui a de l’expérience en animation de formation et un autre qui en a nettement moins mais qui sait bien se servir de ChatGPT et de MagicSlides ?
Eh bien c’est compliqué de dire qui est meilleur que qui, car c’est là qu’intervient l’éthos en rhétorique, qui peut d’ailleurs s’appliquer à un tas de domaines.
L’éthos, c’est votre crédibilité dans un domaine donné. Bill Gates est considéré comme crédible dès qu’on parle d’informatique. Bernard Arnault l’est aussi à partir du moment où on parle de luxe et de développement d’affaires. Il l’est aussi dès qu’on parle de musique et d’art puisqu’il est pianiste amateur et qu’il est marié à une musicienne. Mais il ne parlera pas forcément avec aisance du domaine de prédilection de Bill Gates car il est moins crédible que l’ancien boss de Microsoft dans ce domaine.
Et on en vient au principe de l’incarnation d’un discours, donc de l’éthos d’une personne qui sait faire des beaux supports via l’IA mais qui n’a pas forcément de crédibilité dans ce domaine.
Le discours sera toujours mieux incarné et maîtrisé par l’expert qui s’y connaît, ce qu’on entend notamment dans la fluidité du débit de parole et la tonalité assurée de la voix. Mais sur l’enseignement d’une tonalité d’expertise, l’IA peut-elle se substituer de nouveau à un expert voix ou un coach en prise de parole en public?

Les applications au service de la prise de parole en public
On a vu récemment le développement de plusieurs applis ou assistants virtuels à la prise de parole en public, comme Pronounce, Orai, Yodli ou Voice Analyser (payant et à des fins médicales) qui impactent significativement la qualité des prises de parole en public. Elles offrent un retour personnalisé, permettent d’enrichir le vocabulaire, et contribuent à vous rendre plus à l’aise en anglais si vous le souhaitez. Dans ce cas, le fait qu’une application puisse se substituer à une formation CPF peut se poser. L’ingénierie pédagogique est au point, ludique, les indicateurs de performance sont plutôt objectifs et les utilisateurs sont plutôt contents.
Cependant, si on veut aller encore plus loin, il sera de toute manière nécessaire de faire appel à un expert voix et prise de parole en public.
Un exemple tout simple : la relation posture voix. Il existe pas mal d’applications et solutions qui analysent la posture d’un point de vue prévention des TMS.
Mais aucune ne fait le lien entre un bassin trop antéversé qui entraîne un haut du corps crispé et donc une voix qui ne vibre pas comme elle devrait !
Les applis n’arrivent pas encore, sur ces applis grand public, à analyser la résonance d’une voix, le spectre harmonique et la profondeur d’une respiration. Elles peuvent être cependant d’une grande aide pour les clients d’un expert voix pour pouvoir travailler chez eux de leur côté. Mais l’expérience de l’expert reste et demeurera indispensable pour que l’accompagnement reste efficace.
Conclusion
D’une certaine manière, et là c’est ma conviction personnelle, l’IA adaptée à la prise de parole en public va aussi bouleverser le domaine de la formation et de l’accompagnement personnalisé.
Elle va d’une certaine manière faire le tri dans la profession.
On aura ceux qui sont dépassés par l’IA, ceux qui savent s’en servir mais ne maîtrisent pas vraiment le sujet et enfin ceux qui connaissent très bien leur domaine, savent transmettre et pourront utiliser l’IA à leur avantage.
Elle permettra aussi aux experts réels en voix et prise de parole de faire valoir un avantage concurrentiel sur la qualité du service et de l’expérience client lors des sessions, tout en améliorant leur prestations, car l’IA sera là pour les soutenir. Et ils seront aussi amenés à s’améliorer en continu car l’IA est aussi là pour les concurrencer.
Des questions ?
A propos
Emilien Hamel
Formateur en prise de parole et coach vocal, Expert Voix, Grenoble et visio