S’inscrire à une formation : oui mais après ? 

Comment être sûr(e) de pouvoir utiliser dans la vraie vie ce que j’ai utilisé dans le cocon d’une formation ? 

Après avoir été lucide sur les marketeux, et émis des doutes sur les formations données entre sororités, voici un nouvel article qui va approfondir les limites des formations sur la prise de parole en public: le cadre, le contexte, la reproductibilité.

Je vais encore me faire des amis 🙂. En effet, mon article sur les marketeux et la prise de parole ont provoqué quelques réactions de certains organismes de formation qui se sont sentis visés et n’ont pas forcément compris ce qu’une expertise technique pouvait leur apporter en gain de crédibilité. 

D’autres comme Improveo qui sont plus pragmatiques ont immédiatement compris l’intérêt d’associer nos expertises et cela nous ouvre un champ des possibles tout à fait excitant.

De même, mon propos sur les sororités avait avant tout vocation à souligner les limites d’un tel fonctionnement d’entre soi, et ce de manière aussi humoristique que possible. Et je suis désolé si cela a pu heurter des sensibilités, j’ai probablement mis en lumière quelques bugs, mais c’est exactement ce que je pense et ce que je constate régulièrement. 

Mon travail consiste à voir les failles d’émission vocale, de raisonnement, de contenu aussi parfois et d’y apporter des solutions concrètes qui peuvent être reproduites de manière sécurisée dans des contextes avec un enjeu financier ou professionnel important.

Les failles que je détecte dans toutes ces aides et formations en prise de parole ont quatre points communs:

  • le cadre bienveillant et sécurisant mis en place où tout le monde peut s’exprimer en liberté
  • le biais induit dans l’évaluation d’une prise de parole en public, forcément impactée par le contexte où elles se déroulent
  • le caractère ponctuel de l’événement, on fait en général une à deux formations de prise de parole dans sa vie
  • la reproductibilité d’une bonne intervention lors d’une certification, dans un contexte autre que celui du cadre établi pour la formation

En effet, parler entre femmes dans un cercle sororal est certainement très confortable. Mais quand il s’agit d’être en face d’un RH mâle cisgenre obtu et macho, comment on fait? De la même manière, une fois la formation finie, on est dans l’euphorie de ce qu’on a réussi à exprimer. On se dit qu’on va mettre en place ce qui a été abordé en formation pour s’améliorer, se préparer à une prise de parole. Mais combien de temps dure cet élan? Imaginons qu’il faille se souvenir de ce qu’on a vu comme notions de fond et de forme lors d’un oral pour présenter un projet cinq ou six ans après, comment faire? Comment gérer de nouveau le stress induit par des situations qu’on percevait comme hostiles à l’époque et qui le sont encore?

L’IA est vraisemblablement le médium qui se rapproche le plus de la possibilité d’atteindre la reproductibilité des compétences nécessaires à acquérir.

Elle peut être capable de mesurer, grâce à un calibrage ad hoc, un certain nombre de métriques à froid. Elle amène aussi à une régularité de la pratique, à la condition que l’utilisateur d’une appli de prise de parole s’y astreigne. Mais peut-elle pour autant se substituer à un jury de concours qui a mal dormi la nuit précédente, s’est disputé avec son ado parce qu’il écoutait du Juul trop fort et veut se passer les nerfs sur un pauvre candidat?

Moi-même, j’ai déjà expérimenté les limites de mon expertise face à un candidat hargneux pour une élection, et celui-ci était un édile, un aspirant à des fonctions parlementaires.

Impossible de faire boire un âne qui n’a pas soif. C’est peine perdue. 

Mais mon activité et mon expertise me permettent de compiler suffisamment de métriques mesurables (intensité, spectre, apériodicité de la voix, placement, débit, etc) pour au moins démontrer l’impact que ça a, les bonnes pratiques à adopter afin de viser le total contrôle de ce qui est émis pour générer la réaction attendue.

L’expérience, notamment dans la recherche en accompagnant des scientifiques, me fait dire que le principe de réalité (le contexte oratoire) doit être aussi hostile que possible pour faire prendre conscience de la nécessité de progresser. Il m’est arrivé d’avoir des scientifiques 100 % persuadés que leur discours était bon, qu’ils étaient percutants et qu’ils allaient convaincre pour des levées de fonds sans aucun problème. Pourtant, je pouvais prédire d’avance le résultat, rien qu’à leur voix et à leur discours. Et bien évidemment ça c’est confirmé. Idem pour certains politiques que j’ai coachés…

Il me faut donc être honnête et transparent vis à vis des clients qui font appel à mon expertise, sans pour autant les dégoûter, ce serait contre productif, et surtout leur expliquer pourquoi ils doivent s’améliorer en mettant en synergie ce qui a trait au concret, au mécanique (posture, respiration, voix inflexions, métriques mesurables donc) et l’abstrait (l’impact, le résultat la réception qui souvent nous échappe).

La “witness prep” américaine qu’on voit dans toutes les séries Netflix (préparation au contre-interrogatoire) vise aussi cet objectif d’une manière extrême : s’assurer que l’individu soit prêt le jour J grâce à une préparation qui passe en revue tous les aspects de l’échange et généralement pas les plus bisounours…. c’est quasi une préparation à une joute oratoire et c’est indispensable !

Alors comment parvient-on à cela ?

L’expertise voix a cet avantage de décomposer dans un premier temps le fond et la forme et de re-conditionner le client dans la direction vocale la plus saine et impactante pour lui. Il faut en premier lieu installer une respiration constante et maîtrisée, soutenue par la sangle abdominale à l’expiration ainsi qu’une détente du haut du corps qui permette à la voix de résonner. 

L’aspect postural permet ensuite de ressentir une différence dans le placement de la voix, avec la possibilité de reproduire certaines émotions, sur une base purement mécanique. Par exemple, la joie fera intervenir les obliques externes et sera accompagnée d’une ouverture posturale qui entraînera à son tour une émission vocale qui paraîtra souriante. La colère se fera en appuyant sur le diaphragme, saturant ainsi l’arrivée d’air sur les plis vocaux et créant une saturation d’intensité vocale qu’on peut d’ailleurs maîtriser.

Enfin, une fois la respiration bien posée, l’émission et le débit de parole pourront illustrer le fond (message à caractère politique, demande d’augmentation salariale ou autre). Le coaching vocal aidera surtout pour les situations stressantes, puisque le flux de paroles sera régulé par le rythme de la respiration qui permet aussi de clarifier le mental (certains coachs en développement personnel parlent du biohack ultime, qui n’est qu’une respiration profonde et constante…). 

L’expertise voix apporte donc une discipline dans la pratique qui amène à la reproductibilité des outils vus en séances dans un contexte hostile. 

En effet, quand vous suivez une formation à la prise de parole avec une simple simulation du contexte, sans forcément comprendre ce qui est en jeu d’un point de vue physiologique, il y a fort à parier que “dans la vraie vie” vous perdiez à nouveau tous vos moyens. C’est logique : vous ne vous serez entraîné(e) à développer des compétences que dans un contexte privilégié, sécurisé : c’est de la répétition cocoonée, mais on ne peut pas vraiment dire que vous avez COMPRIS pourquoi vous maîtrisez ou non votre voix.

Seuls la compréhension anatomique, l’entraînement vocal spécifique et le coaching d’un spécialiste de la voix avec des éléments techniques mesurables sont les clés pour pouvoir reproduire ce qui est vu en séance…. dans des conditions réelles !

Si on compare avec l’IA, la différence c’est que l’oreille humaine entraînée du spécialiste est pour le moment plus efficace dans sa perception des variations d’une voix par rapport à la cible et sera mieux à même de guider le client. Le capteur de l’université de Northwestern, évoqué il y a peu, est surtout considéré par ses inventeurs comme un outil de self-monitoring. Mais sans accompagnement, que ce soit du point de vue médical ou oratoire, cela ne sert juste à rien car le capteur incite juste à s’arrêter quand on est fatigué vocalement. Il ne donnera pas les clefs pour se fatiguer moins vocalement ou parler plus longtemps sans forcer, retour à la case départ ! 

En résumé, la formation qui donne le plus de gages de reproductibilité sera celle qui sera constante, fera ressentir des changements mécaniques dans la phonation, apportera une discipline respiratoire qui est la base de tout et matérialisera les progrès grâce à l’aspect technique de l’accompagnement (sonogrammes, mesures d’intensité, enregistrements, éventuellement l’IA en complément). Cela tombe assez bien, c’est ce que je fais. CQFD ! 🙂

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A propos

  • Portrait Emilien Hamel

    Emilien Hamel

    Formateur en prise de parole et coach vocal, Expert Voix, Grenoble et visio